Interview de Samuel Half, CEO de Ketl.io
Ingénieur HEPIA réorienté vers le droit et titulaire d’un brevet d’avocat, Samuel Halff, CEO de Ketl.io, représente le genre de profils atypiques que l’on imagine tout à fait lancer une start-up dans les legaltech. Il avait déjà accepté de participer à un meet-up organisé par SLTA Student Chapter Geneva en janvier, on savait donc l’intérêt que sa vision du monde des legaltech et du futur de la profession d’avocat représente. Il a encore une fois gentiment accepté de nous rencontrer, cette fois dans les locaux de Ketl.
Pour commencer, Sam, qui es-tu ?
Alors… de formation, je suis avocat. J’ai pratiqué pendant presque 10 ans et aujourd’hui j’ai fondé une entreprise, basée à Genève, qui s’appelle Ketl, dans la legaltech. On développe une solution logicielle qui aide les entreprises, et les études d’avocats en particulier, à travailler de manière plus efficace.
Comment est né Ketl ?
Ketl est née il y a environ 3 ans alors que j’étais déjà avec mes associés. On testait un peu les, derniers progrès en intelligence artificielle, sur les documents courants, et on essayait de voir ce qu’on pouvait faire. En réalité l’intelligence artificielle a fait énormément de progrès ces 5, 10 dernières années, et beaucoup de choses sont disponibles en open-source, ce qui permet à des entreprises comme la nôtre de facilement développer nos propres technologies.
Qu’est-ce que les legaltech en général changent et vont changer dans le quotidien de l’avocat ?
Qu’est-ce qu’elles changent maintenant… je pense que la legaltech est encore peu présente dans les études, encore aujourd’hui. C’est justement une des choses qu’on essaye aussi de changer un petit peu. Cependant ça avance et je pense qu’aujourd’hui les études sont vraiment en train de prendre un virage. On sent aussi les réformes arriver : on sait que Justitia 4.0 [n.d.l.r. : le projet de transition numérique du système judiciaire suisse] prend toujours un petit peu de retard et devrait gentiment arriver d’ici 3 à 4 ans. C’est le genre de choses qui font que, probablement d’ici 10 ou 15 ans, le métier sera très différent du métier d’aujourd’hui.
Justement, les milieux auxquels tes produits s’adressent on la réputation d’être plutôt conservateurs. Comment est-ce que tu gères cela, est-ce qu’il y a des résistances particulièrement fortes ?
Alors c’est une bonne question ; on a été assez surpris en fait, moi le premier. J’imaginais que nos prospects, les clients à qui on s’adressait avec nos produits, seraient assez réfractaires au changement et en réalité on a rencontré très peu d’avocats qui sont vraiment contre le progrès technologique. Tout le monde cherche des moyens de se moderniser, de mieux travailler aujourd’hui. Je pense aussi que le Covid a beaucoup accéléré le processus. Mais non, honnêtement, Je n’ai pas vraiment ressenti de résistance chez les avocats, au contraire.
Tu étais avocat alors que tes associés sont plutôt ingénieurs ou en tout cas issus de milieux plus techniques. Il me semble que ce sont des cultures très différentes, comment est-ce que se déroule la collaboration ?
En ce qui me concerne j’ai quand même étudié comme ingénieur à la base, donc j’ai fait un diplôme d’ingénieur avant d’étudier le droit et j’ai quand même un peu cet esprit d’ingénieur. La communication se passe très bien, effectivement après on a quand même des casquettes assez différentes. On a chacun notre rôle dans l’entreprise mais ça se passe plutôt bien.
Justement, ce métier d’avocat, qu’est-ce qui t’a poussé à le quitter et à changer de voie comme ça ?
Alors pour moi c’était une grande frustration dans le métier d’avocat : chaque fois que je produisais un mémoire ou un mémo pour un client, je passais du temps sur ces rédactions pour ensuite les classer et les oublier. J’ai quand même un peu cette envie de créer quelque chose qui est durable et utile à un plus grand nombre de personne. C’est ce qu’on essaye aujourd’hui de faire chez Ketl, c’est vraiment cette idée de créer quelque chose d’utile et de durable.
Quels sont les projets futurs de Ketl ?
On a beaucoup de projets et de fonctionnalités qu’on souhaite développer, mais un des projets intéressants pour la legaltech c’est notre plateforme de recherche juridique. On a développé un moteur de traduction similaire à celui de Deepl, et on souhaite le mettre à profit. On a développé une plateforme juridique pour toute la jurisprudence suisse, ce qui permettra de rechercher dans cette jurisprudence dans n’importe quelle langue. Donc pour les francophones comme moi qui sont parfois un peu allergiques à l’allemand juridique, il sera possible d’effectuer une recherche en français. Tout sera en français : les extraits, les mots-clefs, la jurisprudence, etc… et évidemment on pourra ensuite retrouver les langues originales des documents.
Pour finir, est-ce que tu aurais quelque chose à dire aux étudiants qui vont bientôt se lancer dans le monde professionnel ?
C’est une bonne question. Je n’ai pas trop de conseils à donner, mais une chose qui en tout cas moi m’a beaucoup aidé, c’est d’avoir plusieurs cordes à mon arc. C’est de n’être pas uniquement un avocat très spécialisé dans un domaine mais d’avoir un peu une vue d’ensemble. Finalement l’aspect technique m’a beaucoup aidé en me permettant de pouvoir finalement essayer d’autres choses que juste une carrière d’avocat. Même si finalement ça va un peu à l’encontre de ce qu’on nous dit aujourd’hui. On nous dit souvent que c’est un métier qui se spécialise, qui se complexifie et qu’un avocat doit souvent se spécialiser pour être pertinent. Je trouve quand même qu’il ne faut pas oublier de garder d’autres compétences que nos spécialisations.
Très bien et merci pour ton temps !